Marc-Williams Debono[1]
Le Concept de Plasticité : un nouveau
paradigme épistémologique
Résumé: La plasticité est une
propriété inhérente aux systèmes inertes ou vivants
qui est tacitement admise, mais n’a fait jusqu’à
présent l’objet d’aucune conceptualisation. Or, elle
interroge en premier ressort la forme et l’émergence de la forme et
n’est ni une propriété émergente ni une
propriété systémique stricto sensu. Elle a en outre
des implications, qui, au même titre que la complexité, concernent
l’épistémologie car elle est modélisable,
globalisante et transdisciplinaire. Elles se mesurent concrètement par sa
spécificité vis-à-vis de l’élasticité
et sa capacité unique de liage de formes irréversibles ou
d’action directe au point d’ancrage de dimensions ou
d’expressions irréductibles. Cet article formalise
des complexes plastiques essentiels qui lient de façon inextricable la
forme ou l’expérience à l’évolution
connaissante du sujet. C’est le cas des couples espace-temps,
inné-acquis ou neural-mental dont la plasticité est une condition
nécessaire et suffisante à la co-signification. C’est le cas
de cette dynamique plastique à la fois contenue et ouvrant le sujet
à un destin unique où l’esprit s’affranchit enfin de
toute dualité.
Si les sciences de la vie mesurent clairement la
phénoménologie plastique, longtemps pensionnaire exclusive des
arts plastiques, elles n’en tirent pas toutes les conséquences
épistémologiques. En effet, on conçoit bien
aujourd’hui l’impact structurel et les capacités de
re-modélisation des systèmes complexes comme n’étant
pas une simple opération algorithmique. D’où un nombre de
travaux croissant sur la plasticité des matériaux, des corps
célestes ou sur la plasticité humaine. D’où encore
tout un champ interrogeant la
conscience[2]. Cependant, en dehors de
Maturana & Varela, qui ont précocement démontré la
pertinence des systèmes auto-poïetiques dans la reconnaissance
immunitaire du soi (Varela, 1983), puis de l’essor récent des
sciences cognitives qui abordent enfin la nature de l’esprit (Jeannerod,
2000), la plasticité demeure essentiellement descriptive, contextuelle et
n’a pas été conceptualisée comme la complexité
(Morin, 1990) avec qui elle entretient des rapports
étroits[3].
Qu’il s’agisse de l’histoire du vivant ou de la
créativité humaine, la signification de la plasticité est
en effet clairement sous-estimée aujourd’hui. Le terme de
plasticité, dont Aristote avait déjà décrit
l’ubiquité, en signifiant qu’il n’avait pas
qu’une valeur esthétique, mais répondait à une
réalité profonde de la constitution du monde, est en effet
volontiers assimilé à l’élasticité - son faux
ami - et à la passivité des corps. Ce qui a pour
conséquence de le cantonner généralement à une
propriété physique ou fonctionnelle telle que la résistance
ou l’adaptabilité. La forme de l’objet final ou de la
structure anatomique serait ainsi liée à un donné et non
à un acquis ou à un échange, autrement dit ne
revêtirait aucun « principe actif » [4].
Or, cette affirmation est fausse, car le verbe Plastir introduit au
19ème siècle en France signifie depuis les temps
antiques façonner ou modeler la matière et non pas seulement
recevoir la forme. La plasticité humaine introduite par Pic de la
Mirandole et approfondie par Hegel donne également un rôle actif au
sujet qui met en relief un lien spécifique entre ontologie,
temporalité et devenir post historique de l’homme (Malabou, 1996).
Ce point est fondamental si on l’interprète comme un échange
et un moyen de dépasser les contradictoires (Lupasco, 1970,1986), car il
indique qu’on a affaire à un processus plutôt
qu’à une propriété émergente. Il se
vérifie autant en sciences humaines, où il est aisé de
montrer que le processus plastique tend à se montrer plus actif que
passif, plus ‘transcendantal’ ou transgressif que
‘matérialiste’[5],
plus participant, qu’en sciences expérimentales.
L’avancée des sciences permet en effet d’affirmer
aujourd’hui clairement que les systèmes complexes, en particulier
les organismes biologiques, ont les mêmes capacités que la
sculpture, à savoir qu’ils participent à la genèse
des formes dont ils sont issus et ne font pas que la subir. Cela implique que le
contenant (la forme) et le contenu (l’objet ou l’organisme) se
signifient réciproquement, qu’ils se co-déterminent. La
plasticité scelle donc ce mouvement et l’inscrit dans une histoire
commune. Il n’y a pas domination de l’un au détriment de
l’autre, mais coopération.
Etat des Lieux de la Plasticité
Où en est-on concrètement de la reconnaissance du concept de
plasticité ? Il est clair qu’en dehors des approches que nous
avons citées et des travaux que nous développons depuis les
années 80 sur le plan épistémologique, des sciences et de
la création (Debono, 1996), le concept n’est ni revendiqué
ni exploité. Il s’agit en effet pour lors d’un de ces
principes dont on reconnaît la valeur intrinsèque ou implicite dans
un système donné, mais que l’on a jamais cru
nécessaire de redéfinir dans le contexte de la modernité.
Or, le seul fait que la plasticité soit une propriété
fondamentale de la matière inerte comme animée - dont
l’homme - justifie sa conceptualisation. C’est pourquoi il y a une
nécessité pressante de clarifier la notion de plasticité
afin de lui permettre d’acquérir un nouveau statut.
Pour ce faire, il est nécessaire de la simplifier en en
donnant une première définition et en la déclinant par
niveaux [figure 1]. Ainsi, au premier degré, la plasticité
s’adresse à la dynamique naturelle de tout événement
dans un univers donné. La courbure espace-temps y co-implique la
matière et la forme. Au second degré, elle concerne la
plasticité du vivant étant autant impliquée à
l’échelle de la fonction, de l’organisme que de
l’évolution (ontogenèse, phylogenèse..), ce qui
permet au sujet en construction d’exprimer la forme qu’il
représente ou de ce qu’il va devenir (troisième niveau) et
d’établir des réseaux métaplastiques. Cette amorce de
définition pose d’emblée trois types de
questions très actuelles :
S’agit-il d’un phénomène de mode ?
Bien que la tentation soit grande pour beaucoup de
champs disciplinaires comme les sciences des matériaux,
l’esthétique, la psychologie et plus récemment la
neurobiologie, d’accaparer le concept de plasticité, que ce soit au
niveau fonctionnel, des morphotypes ou du comportement, on ne peut pas dire
qu’il s’agisse d’un simple effet de mode. En effet, si le
terme s’utilise crescendo depuis une vingtaine d’année ou
qu’il est simplement redécouvert, c’est parce qu’il a
mué, correspond à une réalité de fond ou à un
concept heuristique existant depuis toujours, mais demandant à
présent urgemment d’être recadré au regard des
avancées de la science contemporaine.
Et ce n’est pas un hasard si ce sont les neurosciences, qui sont au
cœur d’un des débats cruciaux du XXIème siècle à un double titre - celui de
l’avènement du cerveau et des prémisses de l’approche
de la conscience humaine -, soient en quelque sorte les mécènes de
ce combat. En effet, toute approche de la sphère neurologique se situe
aujourd’hui nécessairement au confluent de plusieurs champs de la
connaissance comme la biologie, la génétique, la psychologie, la
sémantique, la cognition, etc... Or, cela correspond pleinement à
la nature fondamentalement transdisciplinaire – c’est à dire
traversant et allant au delà des disciplines (Nicolescu, 1996) – du
caractère plastique. D’où la généralisation du
concept de neuroplasticité à laquelle nous assistons. Une
généralisation qui pourrait parfaitement s’appliquer aux
sciences de l’information, et semble être liée à un
phénomène de mode, mais correspond au contraire à une
rencontre prédictible et attendue.
En effet, ce n’est
que depuis une cinquantaine d’années qu’on reconnaît la
valeur fonctionnelle de la plasticité cérébrale. Depuis
lors, on ne cesse de découvrir l’ampleur du
phénomène, comme l’existence d’une plasticité
neuronale étendue au niveau des systèmes nerveux les plus
élémentaires comme ceux des
nématodes[6] ou des
drosophiles[7] ; comme des
régulations d’ordre métaplastique au niveau des
réseaux
interconnectés[8], mais
également au niveau des propriétés
d’excitabilité et d’intégration des neurones
eux-mêmes ; enfin comme la découverte récente et
fascinante d’une neurogenèse adulte. La plasticité motrice
et les capacités de reconfiguration permanente des cartes corticales
somato-sensorielles après lésion ne sont de même pas en
reste[9]. Les travaux de nombreux
auteurs (Sirigu et al. 2003), montrent ainsi que le cerveau établit sa
propre représentation de notre corps, et qu’en cas de perte de
membre, il continue à les représenter. Ainsi, en cas de greffe
réussie ou de création artificielle d’une illusion de
mouvement, il peut réactiver les zones motrices impliquées.
Ces travaux, et d’autres montrant que le cortex moteur
anticipe l’action, révèlent à quel point la
représentation de soi est primordiale pour l’équilibre du
sujet (Debono,2005). Dans tous les cas, la forme (poids synaptique, mise en
place et modification durable de la transmission synaptique, engrammes,
restructuration des réseaux...) et le message (réponse
spécifique apportée) perdurent, signant un haut degré de
plasticité cérébrale dont l’écho se retrouve
en aval au niveau des systèmes cognitifs et des émotions. On peut
ainsi dire que la plasticité du cerveau n’est en rien un
phénomène de mode, mais une observation jamais démentie,
s’amplifiant au fur et à mesure des découvertes en
neuroscience. Il y a fort à parier que dans les prochaines
décennies, c’est la plasticité mentale elle-même
qu’on exemplifiera[10].
S’agit-il d’une confusion sémantique ?
Autre zone d’interrogation ou de flou
opératoire : le champ sémantique et métaphorique
couvert par le terme de plasticité. On a dit plus haut son
caractère ambigu selon qu’on lui attribue ou non la capacité
de « donner la forme » qui caractérise les arts
plastiques. Or, les définitions modernes du terme ont tendance à
élaguer le problème, en arguant que si le corps
déformé par une action extérieure est capable de conserver
sa forme de façon irréversible une fois que l’action a
cessée, il est plastique. Dans le cas contraire, il est
élastique[11], ne
mémorise pas la forme. Par extension, est plastique ce qui est adaptable
et peut inclure un processus de reconnaissance actif. Est élastique ce
qui est uniquement modulable de façon mécanique. Ce raisonnement a
l’intérêt de lever les ambiguïtés apparentes,
mais nous parait simpliste et ne tenir compte ni de la réalité
historique du terme, ni de son évolution.
L’origine
étymologique de l’ancien verbe plassein, puis de plastir se réfère en effet clairement à leurs
capacités de prendre comme d’engendrer la forme. Cette
définition originale de la plasticité prend en compte la
récapitulation phylo- et ontogénétique des acceptions
successives qui ont conduit à l’actuelle terminologie. Elle
caractérise l’art, mais est également plus proche du concept
de plasticité tel qu’on veut le faire reconnaître, à
condition de ne pas tomber dans le piège des seuils d’observation.
C’est flagrant au niveau des systèmes vivants qui sont à la
fois auto-organisés, soumis aux contraintes de l’environnement et
eux-mêmes structurants, prenant part à l’élaboration
de leur forme comme de leur univers propre. C’est flagrant au niveau au
niveau de la plasticité évolutive qui est seule capable de
délier la rigidité génotypique. C’est flagrant au
niveau des rapports entre le cerveau et la conscience où la
plasticité structurelle (réseaux synaptiques) joue sans aucun
doute un rôle de médiateur qui ne fait que s’amplifier
à la lisière conscient-inconscient. Cela nous entraîne vers
le prochain point.
S’agit-il d’une propriété de système ou
d’un processus actif ?
On a
ébauché une réponse à cette question dans le
chapitre précédent. Les confusions peuvent venir du fait que la
plasticité (à l’inverse de la flexibilité ou
l’élasticité) peut être les deux à la fois.
Elle s’applique à de nombreux systèmes, à
différents niveaux de ces
systèmes[12], tout en faisant
montre d’une capacité d’englober le déroulement entier
du processus. Cependant, pour éviter toute confusion, on pourrait
conserver la nomenclature moderne, c'est-à-dire le terme de
malléabilité ou d’élasticité dans le cas des
déformations locales, c’est à dire non
mémorisées à long terme et non interactives (exemple de
certains matériaux ou de l’élasticité de la peau), et
de plasticité uniquement dans le cas de déformations
irréversibles et impliquant un échange actif entre
l’hôte et l’acteur ou à l’intérieur
d’un couple de forces (cas notoire des systèmes naturels et
vivants). L’enjeu est donc de définir un concept unitaire qui
prenne en compte les propriétés de déformation
irréductible durable et d’adaptation des structures, mais puisse
également mettre en exergue la spécificité de la
plasticité (table 1). Nous allons à présent tenter
de définir ce concept point par point, en gardant à
l’esprit qu’il ne s’agit pas de jouer sur les
métaphores et de faire dire plus à ce concept qu’il ne peut
dire. En effet, tout ce qui va modifier la forme de façon
irréversible dans le temps sera dit plastique. Tout ce qui va agir
directement au point d’ancrage de dimensions ou d’expressions
irréductibles sera dit plastique. Cependant, les conséquences
seront très différentes selon qu’il s’agit d’une
entité matérielle ou cognitive, d’une perception
filtrée ou d’un affect à l’état brut,
qu’on s’adresse à l‘être ou au
néant ...
En quoi la Plasticité est-elle un nouveau
Paradigme ?
- La plasticité relève en première intention la
pertinence du couple matière vs forme[couple 1] puis
ducouple forme vs objet [couple 2] où le contenant
(la forme) et le contenu (l’objet ou l’organisme) se signifient
réciproquement.
- Le plastecorrespond à la plus petite
unité plastique susceptible de rendre compte de cette relation
élémentaire (elle-même issue d’une plasticité
princeps dont on interrogera pas les fondements ici) symbolisée par le couple formé vs informé [Couple 0]. Ce couple interroge
basiquement la forme & l’émergence de la forme, et à une
échelle différente le ‘percept transformé’,
c’est-à-dire ayant pris corps dans une forme, un concept ou un
individu.
- La plasticité n’est pas uniquement une propriété
systémique ou émergente [comme l’élasticité
structurale ou la flexibilité des automates], mais est également
inductrice, structurante et capable d’introduire la part informelle
indispensable à toute évolution singulière d’un
système donné.
- Dans ce sens, elle est fondatrice, car c’est elle exprime un produit
final comme elle est exprimée par lui, inscrivant un processus plutôt que de traduire une structure, un fonctionnement ou une
fonction isolée.
- Ce processus peut être attaché à un ou plusieurs niveaux
d’organisation [de la réponse structurelle
élémentaire aux contraintes du milieu biotique aux réponses
comportementales adaptées de l’organisme évolué en
passant par les variations de ces fonctions dans l’évolution comme
l’ontogenèse, l’épigenèse, la
morphogenèse etc..].
- Il peut également être lié à différents
plans de la réalité [plan statique, mouvement, données
immédiates, réalité virtuelle, conscience de soi,
transcendance, etc..]. D’où sa nature foncièrement transversale et sa capacité à dépasser les
contradictoires.
- Ce dépassement se traduit par l’insertion d’une
dynamique plastique qui transforme les couples de base
[structuré-structurant, inné-acquis, immanent-transcendant,
signifié-signifiant, etc...] en complexes effectifs
s’affranchissant de la dualité.
- On peut ainsi désormais considérer les complexes
plastiques 13 essentielsETP, HNP, SPP & NMP
[espace-temps-plasticité,
hasard-nécessité-plasticité, soma-psyché &
neural-mental-plasticité] où la plasticité est une
condition nécessaire et suffisante à la co-expression ou
l’évolution de ces systèmes.
- Cette dynamique n’est pas neutre mais fortement interactive,
notamment dans le cas des systèmes dynamiques non linéaires
où elle s’incarne dans une histoire singulière
(temporo-spatiale, cognitive, écologique, sociale, identitaire et
interindividuelle), traduisant en bout de chaîne une origine et un trajet.
- La forme résultante, qu’elle soit liée à
l’auto-organisation de la matière ou à
l’éclosion du vivant, est toujours le fruit d’une
co-évolution entre un hôte et son porteur qui fait sens.
- Cette co-signification donne lieu à un changement de
forme ou d’état (irréversible) qui gèle le processus
plastique et devient le contenu même de ce qu’elle
représente ou de ce qui advient.
- Si ce ‘change de forme’ est uniquement lié à un
réseau circonscrit ou aux contraintes environnementales, on peut dire
qu’il répond à « une plasticité
restreinte » ou locale. Si, en revanche, il est lié à la
transformation ‘active’ d’un système de valeur entier
– temporel, évolutif, mnésique, affectif, etc..– ou au
liage actif d’un couple essentiel – sujet-objet, soma-psyché,
neural-mental–, il répond à une
« plasticité globale » ou à une métaplasticité. Ces deux versants de la
plasticité ne s’opposent pas mais sont situés à des
seuils différents et souvent complémentaires.
- Quelle que soit la marge où l’on place ce seuil, cette capacité unique de liage de formes irréversiblesoud’action directe au point d’ancrage de
dimensions ou d’expressions irréductibles constitue la
spécificité majeure de la plasticité. Elle concerne
au premier chef les évènements inscrits dans une histoire et une
expérience singulières et notamment le couple formes
innées/formes acquises dans les sciences du vivant (aux
conséquences fondamentales, en particulier pour la sphère
neuropsychique).
- L’introduction du sujet dans la plasticité du monde
décrit l’expérience proprement humaine. La plasticité
‘infinie’ du sujet est le fruit de ce liage. Elle constitue le
troisième couple forme vs sujet [couple 3], qui par le biais du
dynamisme ternaire décrit au point 7 devient le complexe
sujet-objet-plasticité ou SOP.
- Chez l’homme, ce complexe s’épanouit et implique une
dimension supplémentaire : celle d’un projet, d’une
altérité et d’une mentalité [complexes SPP & AEP
ou ITP (soi-non soi-plasticité ou alter-ego-plasticité et
immanence-transcendance-plasticité ou
émergence-immergence-plasticité (en accord avec les travaux
d’E-Bernard Weil, 2003).
- L’esprit (autant créateur que traversé par la forme) et
le monde s’y co-signifient en s’interpénétrant. Ainsi
l’homme et la nature, le créateur et l’oeuvre d’art, le
chercheur et sa découverte, etc...
- Cet ensemble de propriétés a valeur de concept heuristique
permettant de mieux cerner la potentialité et les limites du processus
plastique.
La plasticité concerne donc tous les
niveaux d’organisation, d’interaction et de réalité
connus. Elle conduit autant à la pureté et
l’esthétisme d’une forme simple (art, nature)
qu’à la naissance d’une métaplastique
évoluée remarquablement illustrée par la
neuroplasticité14 et les complexes SPP ou SOP. Le même
raisonnement peut se tenir pour le complexe HNP où la plasticité
joue le rôle d’intermédiaire exact entre le hasard et le
non-hasard (ou la nécessité) et peut permettre à des
systèmes naturels ou biologiques de s’écarter d’une
dynamique évolutive purement adaptative pour intégrer des
processus stables dans le temps.
On pourrait développer
chacun de ces complexes, mais ce serait fastidieux Ce qui est important est de
relever leur pertinence et le rôle actif qu’y joue la
plasticité. En conclusion, notre démonstration affirme que la
plasticité est bien un nouveau paradigme épistémologique
(regardant ‘la connaissance’). Et pour ceux qui ne seraient
pas convaincus, on peut encore l’exprimer en disant que la
plasticité est un des seuls modèles transversaux susceptibles de
dépasser la dualité car il est participant, articule chacun des
couples contradictoires et les projette de façon bijective15 dans un espace frontalier commun. De même, seul le concept de
plasticité envisage sous un angle totalement novateur le lien entre la forme innée et la forme acquise, est capable de
pérenniser ce rapport et de le différencier totalement d’une
simple propriété de système comme la
malléabilité des corps ou des matériaux en formation
à laquelle il a été jusque là assimilé. Il en
est de même au niveau de la plasticité du sujet, qui explore
à l’autre bout cette frontière innée/acquis et
parvient parfois à la transcender. Cette plasticité
réciproque (modèle ART) [figure2], parfaitement
illustrée par le complexe NMP où la plasticité lie de
façon inextricable expérience neurale et mentale (consciente ou
inconsciente) du sujet afin de construire un être unique, demande à
être investiguée et à être enseignée de
façon résolument transdisciplinaire, car elle change, ou à
minima spécifie le rapport à la forme, le rapport sujet-objet et
un nouvel espace de pensée (Debono 2006).
1 Neurobiologiste, Groupe de recherche PSA.
Bernard-Weil E., « Théorie et praxis des systèmes
ago-antagonistes », Res-Systemica, Vol l3, 1-2. 2003,
Debono M-W,
« L’Ere des Plasticiens », Aubin Editeur
1996.
Debono M-W, « Un nouvel espace de
pensée », dans « Valéry et la
méditerranée » de P. Signorile, Edisud 2006.
Giraux P. and Sirigu A., “llusory movements of the paralyzed limb
restore motor cortex activity”, Neuroimage Vol. 20, Pp: S107-S111, 2003.
Jeannerod M., « La nature de l’esprit »,
Odile Jacob 2000.
Lupasco S.: « Les trois
Matières », R. Julliard, 10/18, 1970,
« L'homme et ses trois éthiques », Ed. du
Rocher: 1986.
Malabou C.: « L’avenir de Hegel -
plasticité, temporalité, dialectique -», Vrin,
1996.
Morin E. : « Introduction à la
pensée complexe », ESF, 1990.
Nicolescu B.,
« La Transdiciplinarité » : Edition du
Rocher, 1996.
Varela F.J., « Autonomie et connaissance », Le Seuil 1983.
2 Supporté par les techniques
d’imagerie fonctionnelle cérébrale comme l’IRM
(résonance magnétique) ou le PET Scan. (tomographie par
émission de postions) qui permettent de voir le cerveau penser mais
nullement de cerner la pensée !
3 Aspect
développé dans un ouvrage de l’auteur à
paraître intégrant le concept de plasticité
(2006).
4 Ce terme, volontairement mis entre guillemets, veut
dire ici non pas que la plasticité aurait un quelconque pouvoir sur la
structure mécanique ou vivante, mais bien que le caractère
plastique d’un objet ou d’un événement est le fruit
d’un dynamisme commun.
5 Allusion à
l’assimilation par la philosophe C. Malabou de la plasticité
à un « nouveau matérialisme » dans le contexte
de l’émancipation de la plasticité du cerveau.
6 Trois cent deux neurones seulement !
7 Cent mille neurones et une connectivité de type associatif.
8 L’exemple de la « mémoire
cérébrale » ou plasticité synaptique à
long terme est la plus classique.
9 Elle est classiquement
illustrée par l’homonculus de Penfield où les
représentations cérébrales des organes des sens et des
membres sont proportionnelles à leur importance fonctionnelle - la
langue est par exemple surdimensionnée par rapport à
d’autres organes -, et les travaux récents en IRMf sur les
illusions visuelles et les membres ‘fantômes’ auxquels nous
faisons allusion (référence suivante).
10 Dans la
mesure où la phénoménologie plastique est le seul
modèle capable de combler le gap entre le mental et le neural
(complexe NMP) ou entre expérience et conscience.
11 Nouveau Littré.
12 Par exemple pour le
vivant : plasticité organique –plasticité psychique-
plasticité évolutive.
13 Les contenus de
conscience et les émotions constituent un immense réseau
métaplastique où s’affrontent puis se dépassent les
contradictions structuré-structurant, sujet-objet, soma-psyché,
émergent-immergent, déterminé-indéterminé,
définissant la richesse de la plasticité
humaine.
14 Les complexes plastiques : Nous avons
défini un certain nombre de complexes incluant la plasticité afin
de mieux stigmatiser son rôle à l’échelle d’un
couple de forces, d’une fonction, d’un plan d’organisation,
d’un écosystème, d’une relation interindividuelle
etc.. Examinons par exemple les
conséquences qu’impliquerait l’acceptation de ce
nouveau paradigme pour le complexe ETP. a) La plasticité devient une
propriété fondatrice au même titre que l’espace et le
temps. Autrement formulé, la courbure espace-temps co-implique la
matière et la forme définissant la plasticité à
l’état naturel brut. b) La plasticité articule naturellement
la construction de l’édifice espace-temps et matérialise la
relativité einsteinienne en introduisant un élément
transversal indispensable dans le couple ET. c) La reconnaissance du complexe
ETP permettrait sans aucun doute une description plus complète et
novatrice de nombreux systèmes inertes et vivants en sciences
expérimentales. d) Elle conduit à de nouvelles approches en
sciences humaines où l’histoire individuelle et collective
s’écrit sans aucun doute dans une géographie - à la
fois spatiale (le lieu) et morphologique (la chose ou l’être)
- et une temporalité - à la fois focale et
généalogique - hautement spécifiques. Le paradigme de
plasticité pourrait tout aussi bien être explicité pour les
autres grands complexes décrits dans l’article, notamment ceux
touchant le monde du vivant et la conscience humaine.
15 C’est à dire, en analogie à la définition
mathématique du terme, qui associe à tout élément
d'un ensemble un seul et unique élément d'un autre ensemble
(Encyclopédie Wikipedia).