DOGMA


Marc-Williams Debono[1]


Le Concept de Plasticité : un nouveau paradigme épistémologique


Résumé: La plasticité est une propriété inhérente aux systèmes inertes ou vivants qui est tacitement admise, mais n’a fait jusqu’à présent l’objet d’aucune conceptualisation. Or, elle interroge en premier ressort la forme et l’émergence de la forme et n’est ni une propriété émergente ni une propriété systémique stricto sensu. Elle a en outre des implications, qui, au même titre que la complexité, concernent l’épistémologie car elle est modélisable, globalisante et transdisciplinaire. Elles se mesurent concrètement par sa spécificité vis-à-vis de l’élasticité et sa capacité unique de liage de formes irréversibles ou d’action directe au point d’ancrage de dimensions ou d’expressions irréductibles. Cet article formalise des complexes plastiques essentiels qui lient de façon inextricable la forme ou l’expérience à l’évolution connaissante du sujet. C’est le cas des couples espace-temps, inné-acquis ou neural-mental dont la plasticité est une condition nécessaire et suffisante à la co-signification. C’est le cas de cette dynamique plastique à la fois contenue et ouvrant le sujet à un destin unique où l’esprit s’affranchit enfin de toute dualité.



Si les sciences de la vie mesurent clairement la phénoménologie plastique, longtemps pensionnaire exclusive des arts plastiques, elles n’en tirent pas toutes les conséquences épistémologiques. En effet, on conçoit bien aujourd’hui l’impact structurel et les capacités de re-modélisation des systèmes complexes comme n’étant pas une simple opération algorithmique. D’où un nombre de travaux croissant sur la plasticité des matériaux, des corps célestes ou sur la plasticité humaine. D’où encore tout un champ interrogeant la conscience[2]. Cependant, en dehors de Maturana & Varela, qui ont précocement démontré la pertinence des systèmes auto-poïetiques dans la reconnaissance immunitaire du soi (Varela, 1983), puis de l’essor récent des sciences cognitives qui abordent enfin la nature de l’esprit (Jeannerod, 2000), la plasticité demeure essentiellement descriptive, contextuelle et n’a pas été conceptualisée comme la complexité (Morin, 1990) avec qui elle entretient des rapports étroits[3].
Qu’il s’agisse de l’histoire du vivant ou de la créativité humaine, la signification de la plasticité est en effet clairement sous-estimée aujourd’hui. Le terme de plasticité, dont Aristote avait déjà décrit l’ubiquité, en signifiant qu’il n’avait pas qu’une valeur esthétique, mais répondait à une réalité profonde de la constitution du monde, est en effet volontiers assimilé à l’élasticité - son faux ami - et à la passivité des corps. Ce qui a pour conséquence de le cantonner généralement à une propriété physique ou fonctionnelle telle que la résistance ou l’adaptabilité. La forme de l’objet final ou de la structure anatomique serait ainsi liée à un donné et non à un acquis ou à un échange, autrement dit ne revêtirait aucun « principe actif » [4].
Or, cette affirmation est fausse, car le verbe Plastir introduit au 19ème siècle en France signifie depuis les temps antiques façonner ou modeler la matière et non pas seulement recevoir la forme. La plasticité humaine introduite par Pic de la Mirandole et approfondie par Hegel donne également un rôle actif au sujet qui met en relief un lien spécifique entre ontologie, temporalité et devenir post historique de l’homme (Malabou, 1996). Ce point est fondamental si on l’interprète comme un échange et un moyen de dépasser les contradictoires (Lupasco, 1970,1986), car il indique qu’on a affaire à un processus plutôt qu’à une propriété émergente. Il se vérifie autant en sciences humaines, où il est aisé de montrer que le processus plastique tend à se montrer plus actif que passif, plus ‘transcendantal’ ou transgressif que ‘matérialiste’[5], plus participant, qu’en sciences expérimentales. L’avancée des sciences permet en effet d’affirmer aujourd’hui clairement que les systèmes complexes, en particulier les organismes biologiques, ont les mêmes capacités que la sculpture, à savoir qu’ils participent à la genèse des formes dont ils sont issus et ne font pas que la subir. Cela implique que le contenant (la forme) et le contenu (l’objet ou l’organisme) se signifient réciproquement, qu’ils se co-déterminent. La plasticité scelle donc ce mouvement et l’inscrit dans une histoire commune. Il n’y a pas domination de l’un au détriment de l’autre, mais coopération.


Etat des Lieux de la Plasticité

Où en est-on concrètement de la reconnaissance du concept de plasticité ? Il est clair qu’en dehors des approches que nous avons citées et des travaux que nous développons depuis les années 80 sur le plan épistémologique, des sciences et de la création (Debono, 1996), le concept n’est ni revendiqué ni exploité. Il s’agit en effet pour lors d’un de ces principes dont on reconnaît la valeur intrinsèque ou implicite dans un système donné, mais que l’on a jamais cru nécessaire de redéfinir dans le contexte de la modernité. Or, le seul fait que la plasticité soit une propriété fondamentale de la matière inerte comme animée - dont l’homme - justifie sa conceptualisation. C’est pourquoi il y a une nécessité pressante de clarifier la notion de plasticité afin de lui permettre d’acquérir un nouveau statut.

Pour ce faire, il est nécessaire de la simplifier en en donnant une première définition et en la déclinant par niveaux [figure 1]. Ainsi, au premier degré, la plasticité s’adresse à la dynamique naturelle de tout événement dans un univers donné. La courbure espace-temps y co-implique la matière et la forme. Au second degré, elle concerne la plasticité du vivant étant autant impliquée à l’échelle de la fonction, de l’organisme que de l’évolution (ontogenèse, phylogenèse..), ce qui permet au sujet en construction d’exprimer la forme qu’il représente ou de ce qu’il va devenir (troisième niveau) et d’établir des réseaux métaplastiques. Cette amorce de définition pose d’emblée trois types de questions très actuelles :



S’agit-il d’un phénomène de mode ?

Bien que la tentation soit grande pour beaucoup de champs disciplinaires comme les sciences des matériaux, l’esthétique, la psychologie et plus récemment la neurobiologie, d’accaparer le concept de plasticité, que ce soit au niveau fonctionnel, des morphotypes ou du comportement, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un simple effet de mode. En effet, si le terme s’utilise crescendo depuis une vingtaine d’année ou qu’il est simplement redécouvert, c’est parce qu’il a mué, correspond à une réalité de fond ou à un concept heuristique existant depuis toujours, mais demandant à présent urgemment d’être recadré au regard des avancées de la science contemporaine.
Et ce n’est pas un hasard si ce sont les neurosciences, qui sont au cœur d’un des débats cruciaux du XXIème siècle à un double titre - celui de l’avènement du cerveau et des prémisses de l’approche de la conscience humaine -, soient en quelque sorte les mécènes de ce combat. En effet, toute approche de la sphère neurologique se situe aujourd’hui nécessairement au confluent de plusieurs champs de la connaissance comme la biologie, la génétique, la psychologie, la sémantique, la cognition, etc... Or, cela correspond pleinement à la nature fondamentalement transdisciplinaire – c’est à dire traversant et allant au delà des disciplines (Nicolescu, 1996) – du caractère plastique. D’où la généralisation du concept de neuroplasticité à laquelle nous assistons. Une généralisation qui pourrait parfaitement s’appliquer aux sciences de l’information, et semble être liée à un phénomène de mode, mais correspond au contraire à une rencontre prédictible et attendue.

En effet, ce n’est que depuis une cinquantaine d’années qu’on reconnaît la valeur fonctionnelle de la plasticité cérébrale. Depuis lors, on ne cesse de découvrir l’ampleur du phénomène, comme l’existence d’une plasticité neuronale étendue au niveau des systèmes nerveux les plus élémentaires comme ceux des nématodes[6] ou des drosophiles[7] ; comme des régulations d’ordre métaplastique au niveau des réseaux interconnectés[8], mais également au niveau des propriétés d’excitabilité et d’intégration des neurones eux-mêmes ; enfin comme la découverte récente et fascinante d’une neurogenèse adulte. La plasticité motrice et les capacités de reconfiguration permanente des cartes corticales somato-sensorielles après lésion ne sont de même pas en reste[9]. Les travaux de nombreux auteurs (Sirigu et al. 2003), montrent ainsi que le cerveau établit sa propre représentation de notre corps, et qu’en cas de perte de membre, il continue à les représenter. Ainsi, en cas de greffe réussie ou de création artificielle d’une illusion de mouvement, il peut réactiver les zones motrices impliquées.

Ces travaux, et d’autres montrant que le cortex moteur anticipe l’action, révèlent à quel point la représentation de soi est primordiale pour l’équilibre du sujet (Debono,2005). Dans tous les cas, la forme (poids synaptique, mise en place et modification durable de la transmission synaptique, engrammes, restructuration des réseaux...) et le message (réponse spécifique apportée) perdurent, signant un haut degré de plasticité cérébrale dont l’écho se retrouve en aval au niveau des systèmes cognitifs et des émotions. On peut ainsi dire que la plasticité du cerveau n’est en rien un phénomène de mode, mais une observation jamais démentie, s’amplifiant au fur et à mesure des découvertes en neuroscience. Il y a fort à parier que dans les prochaines décennies, c’est la plasticité mentale elle-même qu’on exemplifiera[10].


S’agit-il d’une confusion sémantique ?

Autre zone d’interrogation ou de flou opératoire : le champ sémantique et métaphorique couvert par le terme de plasticité. On a dit plus haut son caractère ambigu selon qu’on lui attribue ou non la capacité de « donner la forme » qui caractérise les arts plastiques. Or, les définitions modernes du terme ont tendance à élaguer le problème, en arguant que si le corps déformé par une action extérieure est capable de conserver sa forme de façon irréversible une fois que l’action a cessée, il est plastique. Dans le cas contraire, il est élastique[11], ne mémorise pas la forme. Par extension, est plastique ce qui est adaptable et peut inclure un processus de reconnaissance actif. Est élastique ce qui est uniquement modulable de façon mécanique. Ce raisonnement a l’intérêt de lever les ambiguïtés apparentes, mais nous parait simpliste et ne tenir compte ni de la réalité historique du terme, ni de son évolution.

L’origine étymologique de l’ancien verbe plassein, puis de plastir se réfère en effet clairement à leurs capacités de prendre comme d’engendrer la forme. Cette définition originale de la plasticité prend en compte la récapitulation phylo- et ontogénétique des acceptions successives qui ont conduit à l’actuelle terminologie. Elle caractérise l’art, mais est également plus proche du concept de plasticité tel qu’on veut le faire reconnaître, à condition de ne pas tomber dans le piège des seuils d’observation. C’est flagrant au niveau des systèmes vivants qui sont à la fois auto-organisés, soumis aux contraintes de l’environnement et eux-mêmes structurants, prenant part à l’élaboration de leur forme comme de leur univers propre. C’est flagrant au niveau au niveau de la plasticité évolutive qui est seule capable de délier la rigidité génotypique. C’est flagrant au niveau des rapports entre le cerveau et la conscience où la plasticité structurelle (réseaux synaptiques) joue sans aucun doute un rôle de médiateur qui ne fait que s’amplifier à la lisière conscient-inconscient. Cela nous entraîne vers le prochain point.



S’agit-il d’une propriété de système ou d’un processus actif ?

On a ébauché une réponse à cette question dans le chapitre précédent. Les confusions peuvent venir du fait que la plasticité (à l’inverse de la flexibilité ou l’élasticité) peut être les deux à la fois. Elle s’applique à de nombreux systèmes, à différents niveaux de ces systèmes[12], tout en faisant montre d’une capacité d’englober le déroulement entier du processus. Cependant, pour éviter toute confusion, on pourrait conserver la nomenclature moderne, c'est-à-dire le terme de malléabilité ou d’élasticité dans le cas des déformations locales, c’est à dire non mémorisées à long terme et non interactives (exemple de certains matériaux ou de l’élasticité de la peau), et de plasticité uniquement dans le cas de déformations irréversibles et impliquant un échange actif entre l’hôte et l’acteur ou à l’intérieur d’un couple de forces (cas notoire des systèmes naturels et vivants). L’enjeu est donc de définir un concept unitaire qui prenne en compte les propriétés de déformation irréductible durable et d’adaptation des structures, mais puisse également mettre en exergue la spécificité de la plasticité (table 1). Nous allons à présent tenter de définir ce concept point par point, en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas de jouer sur les métaphores et de faire dire plus à ce concept qu’il ne peut dire. En effet, tout ce qui va modifier la forme de façon irréversible dans le temps sera dit plastique. Tout ce qui va agir directement au point d’ancrage de dimensions ou d’expressions irréductibles sera dit plastique. Cependant, les conséquences seront très différentes selon qu’il s’agit d’une entité matérielle ou cognitive, d’une perception filtrée ou d’un affect à l’état brut, qu’on s’adresse à l‘être ou au néant ...

En quoi la Plasticité est-elle un nouveau Paradigme ?

  1. La plasticité relève en première intention la pertinence du couple matière vs forme[couple 1] puis ducouple forme vs objet [couple 2] où le contenant (la forme) et le contenu (l’objet ou l’organisme) se signifient réciproquement.
  2. Le plastecorrespond à la plus petite unité plastique susceptible de rendre compte de cette relation élémentaire (elle-même issue d’une plasticité princeps dont on interrogera pas les fondements ici) symbolisée par le couple formé vs informé [Couple 0]. Ce couple interroge basiquement la forme & l’émergence de la forme, et à une échelle différente le ‘percept transformé’, c’est-à-dire ayant pris corps dans une forme, un concept ou un individu.
  3. La plasticité n’est pas uniquement une propriété systémique ou émergente [comme l’élasticité structurale ou la flexibilité des automates], mais est également inductrice, structurante et capable d’introduire la part informelle indispensable à toute évolution singulière d’un système donné.
  4. Dans ce sens, elle est fondatrice, car c’est elle exprime un produit final comme elle est exprimée par lui, inscrivant un processus plutôt que de traduire une structure, un fonctionnement ou une fonction isolée.
  5. Ce processus peut être attaché à un ou plusieurs niveaux d’organisation [de la réponse structurelle élémentaire aux contraintes du milieu biotique aux réponses comportementales adaptées de l’organisme évolué en passant par les variations de ces fonctions dans l’évolution comme l’ontogenèse, l’épigenèse, la morphogenèse etc..].
  6. Il peut également être lié à différents plans de la réalité [plan statique, mouvement, données immédiates, réalité virtuelle, conscience de soi, transcendance, etc..]. D’où sa nature foncièrement transversale et sa capacité à dépasser les contradictoires.
  7. Ce dépassement se traduit par l’insertion d’une dynamique plastique qui transforme les couples de base [structuré-structurant, inné-acquis, immanent-transcendant, signifié-signifiant, etc...] en complexes effectifs s’affranchissant de la dualité.
  8. On peut ainsi désormais considérer les complexes plastiques 13 essentielsETP, HNP, SPP & NMP [espace-temps-plasticité, hasard-nécessité-plasticité, soma-psyché & neural-mental-plasticité] où la plasticité est une condition nécessaire et suffisante à la co-expression ou l’évolution de ces systèmes.
  9. Cette dynamique n’est pas neutre  mais fortement interactive, notamment dans le cas des systèmes dynamiques non linéaires où elle s’incarne dans une histoire singulière (temporo-spatiale, cognitive, écologique, sociale, identitaire et interindividuelle), traduisant en bout de chaîne une origine et un trajet.
  10. La forme résultante, qu’elle soit liée à l’auto-organisation de la matière ou à l’éclosion du vivant, est toujours le fruit d’une co-évolution entre un hôte et son porteur qui fait sens.
  11. Cette co-signification donne lieu à un changement de forme ou d’état (irréversible) qui gèle le processus plastique et devient le contenu même de ce qu’elle représente ou de ce qui advient.
  12. Si ce ‘change de forme’ est uniquement lié à un réseau circonscrit ou aux contraintes environnementales, on peut dire qu’il répond à « une plasticité restreinte » ou locale. Si, en revanche, il est lié à la transformation ‘active’ d’un système de valeur entier – temporel, évolutif, mnésique, affectif, etc..– ou au liage actif d’un couple essentiel – sujet-objet, soma-psyché, neural-mental–, il répond à une « plasticité globale » ou à une métaplasticité. Ces deux versants de la plasticité ne s’opposent pas mais sont situés à des seuils différents et souvent complémentaires.
  13. Quelle que soit la marge où l’on place ce seuil, cette capacité unique de liage de formes irréversiblesoud’action directe au point d’ancrage de dimensions ou d’expressions irréductibles constitue la spécificité majeure de la plasticité.  Elle concerne au premier chef les évènements inscrits dans une histoire et une expérience singulières et notamment le couple formes innées/formes acquises dans les sciences du vivant (aux conséquences fondamentales, en particulier pour la sphère neuropsychique).
  14. L’introduction du sujet dans la plasticité du monde décrit l’expérience proprement humaine. La plasticité ‘infinie’ du sujet est le fruit de ce liage. Elle constitue le troisième couple forme vs sujet [couple 3], qui par le biais du dynamisme ternaire décrit au point 7 devient le complexe sujet-objet-plasticité ou SOP.
  15. Chez l’homme, ce complexe s’épanouit et implique une dimension supplémentaire : celle d’un projet, d’une altérité et d’une mentalité [complexes SPP & AEP ou ITP (soi-non soi-plasticité ou alter-ego-plasticité et immanence-transcendance-plasticité ou émergence-immergence-plasticité (en accord avec les travaux d’E-Bernard Weil, 2003).
  16. L’esprit (autant créateur que traversé par la forme) et le monde s’y co-signifient en s’interpénétrant. Ainsi l’homme et la nature, le créateur et l’oeuvre d’art, le chercheur et sa découverte, etc...
  17. Cet ensemble de propriétés a valeur de concept heuristique permettant de mieux cerner la potentialité et les limites du processus plastique.

La plasticité concerne donc tous les niveaux d’organisation, d’interaction et de réalité connus. Elle conduit autant à la pureté et l’esthétisme d’une forme simple (art, nature) qu’à la naissance d’une métaplastique évoluée remarquablement illustrée par la neuroplasticité14 et les complexes SPP ou SOP. Le même raisonnement peut se tenir pour le complexe HNP où la plasticité joue le rôle d’intermédiaire exact entre le hasard et le non-hasard (ou la nécessité) et peut permettre à des systèmes naturels ou biologiques de s’écarter d’une dynamique évolutive purement adaptative pour intégrer des processus stables dans le temps.

On pourrait développer chacun de ces complexes, mais ce serait fastidieux Ce qui est important est de relever leur pertinence et le rôle actif qu’y joue la plasticité. En conclusion, notre démonstration affirme que la plasticité est bien un nouveau paradigme épistémologique (regardant ‘la connaissance’).  Et pour ceux qui ne seraient pas convaincus, on peut encore l’exprimer en disant que la plasticité est un des seuls modèles transversaux susceptibles de dépasser la dualité car il est participant, articule chacun des couples contradictoires et les projette de façon bijective15 dans un espace frontalier commun. De même, seul le concept de plasticité envisage sous un angle totalement novateur le lien entre la forme innée et la forme acquise, est capable de pérenniser ce rapport et de le différencier totalement d’une simple propriété de système comme  la malléabilité des corps ou des matériaux en formation à laquelle il a été jusque là assimilé. Il en est de même au niveau de la plasticité du sujet, qui explore à l’autre bout cette frontière innée/acquis et parvient parfois à la transcender. Cette plasticité réciproque (modèle ART) [figure2], parfaitement illustrée par le complexe NMP où la plasticité lie de façon inextricable expérience neurale et mentale (consciente ou inconsciente) du sujet afin de construire un être unique, demande à être investiguée et à être enseignée de façon résolument transdisciplinaire, car elle change, ou à minima spécifie le rapport à la forme, le rapport sujet-objet et un nouvel espace de pensée (Debono 2006).


1 Neurobiologiste, Groupe de recherche PSA. Bernard-Weil E., « Théorie et praxis des systèmes ago-antagonistes », Res-Systemica, Vol l3, 1-2. 2003, Debono M-W, « L’Ere des Plasticiens », Aubin Editeur 1996. Debono M-W, « Un nouvel espace de pensée », dans « Valéry et la méditerranée » de P. Signorile, Edisud 2006. Giraux P. and Sirigu A., “llusory movements of the paralyzed limb restore motor cortex activity”, Neuroimage Vol. 20, Pp: S107-S111, 2003. Jeannerod M., « La nature de l’esprit », Odile Jacob 2000. Lupasco S.: « Les trois Matières », R. Julliard, 10/18, 1970, « L'homme et ses trois éthiques », Ed. du Rocher: 1986. Malabou  C.: « L’avenir de Hegel - plasticité, temporalité, dialectique -», Vrin, 1996. Morin E. : « Introduction à la pensée complexe », ESF, 1990. Nicolescu B., « La Transdiciplinarité » : Edition du Rocher, 1996.
Varela F.J., « Autonomie et connaissance », Le Seuil 1983.
2 Supporté par les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale comme l’IRM (résonance magnétique) ou le PET Scan. (tomographie par émission de postions) qui permettent de voir le cerveau penser mais nullement de cerner la pensée !
3 Aspect développé dans un ouvrage de l’auteur à paraître intégrant le concept de plasticité (2006).
4 Ce terme, volontairement mis entre guillemets, veut dire ici non pas que la plasticité aurait un quelconque pouvoir sur la structure mécanique ou vivante, mais bien que le caractère plastique d’un objet ou d’un événement est le fruit d’un dynamisme commun.
5 Allusion à l’assimilation par la philosophe C. Malabou de la plasticité à un « nouveau matérialisme » dans le contexte de l’émancipation de la plasticité du cerveau.
6 Trois cent deux neurones seulement !
7 Cent mille neurones et une connectivité de type associatif.
8 L’exemple de la « mémoire cérébrale » ou plasticité synaptique à long terme est la plus classique.
9 Elle est classiquement illustrée par l’homonculus de Penfield où les représentations cérébrales des organes des sens et des membres sont proportionnelles à leur importance fonctionnelle - la langue est par exemple surdimensionnée par rapport à d’autres organes -, et les travaux récents en IRMf sur les illusions visuelles et les membres ‘fantômes’ auxquels nous faisons allusion (référence suivante).
10 Dans la mesure où la phénoménologie plastique est le seul modèle capable de combler le gap entre le mental et le neural (complexe NMP) ou entre expérience et conscience.
11 Nouveau Littré.
12 Par exemple pour le vivant : plasticité organique –plasticité psychique- plasticité évolutive.
13 Les contenus de conscience et les émotions constituent un immense réseau métaplastique où s’affrontent puis se dépassent les contradictions structuré-structurant, sujet-objet, soma-psyché, émergent-immergent, déterminé-indéterminé, définissant la richesse de la plasticité humaine.
14 Les complexes plastiques : Nous avons défini un certain nombre de complexes incluant la plasticité afin de mieux stigmatiser son rôle à l’échelle d’un couple de forces, d’une fonction, d’un plan d’organisation, d’un écosystème, d’une relation interindividuelle etc.. Examinons par exemple les conséquences  qu’impliquerait l’acceptation de ce nouveau paradigme pour le complexe ETP. a) La plasticité devient une propriété fondatrice au même titre que l’espace et le temps. Autrement formulé, la courbure espace-temps co-implique la matière et la forme définissant la plasticité à l’état naturel brut. b) La plasticité articule naturellement la construction de l’édifice espace-temps et matérialise la relativité einsteinienne en introduisant un élément transversal indispensable dans le couple ET. c) La reconnaissance du complexe ETP permettrait sans aucun doute une description plus complète et novatrice de nombreux systèmes inertes et vivants en sciences expérimentales. d) Elle conduit à de nouvelles approches en sciences humaines où l’histoire individuelle et collective s’écrit sans aucun doute dans une géographie - à la fois spatiale  (le lieu) et morphologique (la chose ou l’être) - et une temporalité - à la fois focale et généalogique - hautement spécifiques. Le paradigme de plasticité pourrait tout aussi bien être explicité pour les autres grands complexes décrits dans l’article, notamment ceux touchant le monde du vivant et la conscience humaine.
15 C’est à dire, en analogie à la définition mathématique du terme, qui associe à tout élément d'un ensemble un seul et unique élément d'un autre ensemble (Encyclopédie Wikipedia).



Figure 1

Figure 2

Figure 3



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